- ILLUSTRATION (histoire de l’art et histoire du livre)
- ILLUSTRATION (histoire de l’art et histoire du livre)Un effet de mode gonfle aujourd’hui les interprétations possibles du mot illustration , qui pourrait désigner l’hebdomadaire «à images» fondé en 1843 sous ce nom par Paulin, Johanne et Charton, aussi bien qu’un survol de l’histoire du livre illustré ou qu’un bilan méthodologique sur un domaine d’études, le texte et l’image, apparu il y a une quinzaine d’années. À l’ambiguïté de la notion s’ajoute la polémique qui entache un terme problématique, tantôt vilipendé parce qu’il définirait un genre mineur, fondé sur la dépendance littérale de l’image par rapport au texte, tantôt valorisé parce qu’il permettrait la saisie de nouvelles interrogations à la croisée de l’histoire de l’art et de la gravure, de l’histoire littéraire et de l’histoire du livre. L’approche ici retenue sera fondée sur l’itinéraire de cette notion dans la langue française, où elle apparaît vers 1830, dans le sens d’image gravée associée à un texte imprimé sur un support en papier, se développe tout au long du romantisme et du réalisme, pour être contestée dans le dernier quart du XIXe siècle, remise en cause tant par les applications de la photographie que par l’esthétique de l’art pour l’art et le livre de peintre. Bien qu’elle soit issue de modèles anglais offerts par la presse et le livre, c’est en France en effet que l’illustration a trouvé son plein essor au point de devenir momentanément un art majeur, comme le remarquait Henri Zerner dans l’article ROMANTISME. Favorisé par la rencontre de l’écrivain et de l’artiste que suppose le cénacle romantique, cet essor remarquable découle aussi de l’importance accrue du monde des éditeurs: en effet, l’illustration est une lecture du texte qui a pour fonction principale d’adapter l’écrit au lecteur visé afin d’élargir le public de l’imprimé.1. Fortunes d’un motEn 1931 paraissait L’Art du livre en France des origines à nos jours , par Frantz Calot, Louis-Marie Michon et Paul Augoulvent; en 1984, L’Illustration. Histoire d’un art , par Michel Melot: ce glissement de titres, pour traiter du même sujet à un demi-siècle d’intervalle, est très significatif.Acceptions récentesLes connotations négatives de l’illustration trop «illustrative» se sont effacées, et il n’y a plus à occulter un mot qui est redevenu celui d’un art à part entière. Ce renversement peut être daté, entre 1968, date de la publication du Livre romantique de Jean Adhémar et Jean-Pierre Seguin, qui élude l’adjectif «illustré», et 1971, lorsque paraît l’ouvrage de Gérard Bertrand, L’Illustration de la poésie à l’époque du cubisme, 1909-1914 ... Dans cette encyclopédie même, c’est un article intitulé «Art du livre» (cf. voir LIVRE, vol. XI) qui a eu pour tâche de retracer l’histoire du livre illustré: il serait inutile d’en proposer un doublon.Pourtant, le changement de label n’est pas insignifiant: l’art du livre, dans l’avertissement de Frantz Calot, met «à la portée du grand public un chapitre important de l’histoire des arts, jusqu’alors un peu négligé hors du cercle étroit des bibliophiles et des érudits», en l’initiant aux «chefs-d’œuvre de la typographie, de l’illustration, de la miniature et de la reliure»; le propos est donc de faire entrer dans l’histoire de l’art celle des chefs-d’œuvre de la bibliophilie, dont l’illustration n’est qu’un élément, à côté de la reliure et de la typographie. C’est d’emblée une question autre que soulève auprès du même public le livre de Michel Melot: «au-delà des énumérations et des anthologies bibliophiliques, cet ouvrage cherche à comprendre comment, à chaque époque, s’est fondé le rapport entre le texte et l’image»; en un vaste parcours qui mène du manuscrit enluminé à l’iconothèque de l’ère informatique, ce qui était une histoire de la création bibliophilique se déplace vers une typologie des signes, «analysant les complicités et les concurrences du texte et de l’image aussi bien dans la confusion du pictogramme que dans la séparation radicale de l’art classique, dans les équivoques de la calligraphie que dans les “correspondances” romantiques». D’abord confinées aux frontières des filières universitaires, ou offertes en terrain d’exercice aux voies de la sémiologie, les études sur le texte et l’image prennent une importance croissante dans la mesure où elles fondent maintenant l’archéologie de l’audiovisuel. L’illustration ainsi comprise ne se rapporte pas seulement au livre, mais aux multiples supports du texte et de l’image, de l’affiche au grand art, comme le rappellent le bel essai de Michel Butor Les Mots dans la peinture (1969) ou l’ouvrage de David Scott, Pictorialist Poetics (1988). Ainsi en est-il de l’illustration au sens large, étiquette sans doute préférable aux néologismes dont le dernier proposé fut «iconotexte» (colloque de Clermont-Ferrand, printemps de 1988), par lequel Michael Nehrlich souhaitait désigner l’ensemble des travaux en cours sur le texte et l’image, aussi divers par leur extension chronologique que par celle des corpus et des méthodes.Définitions anciennesL’illustration au sens strict, qui sera traitée ici, joue un rôle exemplaire par rapport à l’acception large du terme, puisqu’elle représente une étape décisive dans l’histoire culturelle des relations entre le texte et l’image: sans s’étendre à la problématique voisine du sujet littéraire dans les expressions plastiques, elle s’arrête à l’objet publié sur un support en papier, qui n’est pas toujours un livre; la fondation du journal L’Illustration en 1843 en est l’événement type qui marque toute l’importance de ce tournant.Le sens visuel, aujourd’hui le plus courant du mot illustration , comme «représentation graphique (dessin, figure, image, photographie) généralement exécutée pour être intercalée dans un texte imprimé» n’est apparu que sous la monarchie de Juillet; auparavant prévalait le sens apparu au début du XVIe siècle, mais de nos jours perçu comme vieilli, d’«action de rendre illustre quelqu’un ou de se rendre illustre», ou «personnage illustre» (Trésor de la langue française ). En 1835, le dictionnaire de l’Académie ignore encore le mot illustrateur et par là même ne sanctionne pas l’apparition de ce nouveau métier. Elle n’admet illustre , comme illustration et illustrer , que dans le sens de l’homme illustre, «éclatant, célèbre par le mérite, par la noblesse, par quelque chose de louable et d’extraordinaire»; quatre ans plus tard, dans le complément à ce dictionnaire, le sens moderne est reconnu, puisque illustrer, ce sera «orner de gravures, de dessins un livre».Les dictionnaires ne font qu’entériner les nouveaux sens ou les nouveaux mots, déjà reconnus par la langue courante ou les vocabulaires spécialisés; pour «illustration» et sa famille, pris dans le sens moderne, ils indiquent une chronologie très significative: entre 1835 et 1839 s’est bien imposé en France un nouvel «art d’illustration»; le journalisme, plus proche du langage parlé, et les chroniques bibliographiques avaient utilisé le mot illustration quelques années plus tôt, soit comme un mot de paléographie synonyme d’enluminure, soit comme un anglicisme marqué par des italiques (en 1829, dans la Revue britannique , puis en 1832, à deux reprises, dans les comptes rendus de L’Artiste ). En Angleterre, les titres des grands ouvrages illustrés publiés par souscription contenaient depuis la fin du XVIIIe siècle le mot illustration ou illustrated , dont la véritable fortune est liée à la carrière du premier grand illustrateur de métier, George Cruikshank. De la même manière, en France, le métier d’illustrateur est apparu inséparable de la figure de Tony Johannot qui «est, sans contredit, le roi de l’illustration . Il y a quelques années, un roman, un poème ne pouvait paraître sans une vignette sur bois signée de lui: que d’héroïnes à la taille frêle, au col de cygne, aux cheveux ruisselants, au pied imperceptible il a confiées au papier de Chine! Combien de truands en guenilles, de chevaliers armés de pied en cap, de tarasques écaillées et griffues il a semés sur les couvertures beurre frais ou jaune serin des romans du Moyen Âge! Toute la poésie et toute la littérature moderne lui ont passé par les mains». «Il faut que l’artiste comprenne le poète [...], il ne s’agit pas [...] de copier la réalité comme on la voit [...]. L’illustrateur , qu’on nous permette ce néologisme, qui n’en est presque plus un, ne doit voir qu’avec les yeux d’un autre»: ces deux citations, empruntées à une courte monographie sur Johannot dans les Portraits littéraires de Théophile Gautier (1845), ont nourri les exemples des dictionnaires, du Bescherelle au Robert et au Trésor de la langue française pour illustrateur comme pour illustration .Cette mise au point lexicologique permet de dater l’émergence de la notion d’illustration dans la langue, et, à partir de là, dans l’histoire de l’image et dans celle du livre illustré: auparavant dominait l’idée du livre «orné de figures». Mais peut-on déceler aussi dans les dictionnaires la fin de l’ère de l’illustration? À vrai dire, le terme n’a pas disparu, il est toujours vivant, mais chargé de nuances péjoratives, ou cantonné dans quelques domaines spécialisés – de nos jours, le livre pour enfants et les couvertures illustrées des magazines ou des livres de poche. Les dictionnaires ne filtrent pas le moment où cette nouvelle nuance de sens s’est imposée: mieux vaut ici invoquer le témoignage des peintres du livre qui, depuis Redon, ont rejeté la dénomination d’illustrateur .2. Le siècle de l’illustrationAu XIXe siècle, la grande période de l’illustration se déploie en France entre 1830 et 1875 environ, après s’être annoncée sous la Restauration; elle s’est manifestée de manières différentes, par étapes successives, et à travers des genres variés, liés aux publics visés par l’éditeur. Elle relève de la phase de croissance de l’imprimé, subordonnée à l’alphabétisation massive, qui coïncide avec l’avènement de l’image, d’autant plus que les perfectionnements techniques, l’accroissement des tirages ont permis de diminuer les prix de vente: malgré la prophétie de Victor Hugo, qui est celle de la «galaxie Gutenberg» et du «sacre de l’écrivain», le texte ne tuera pas l’image, ni l’imprimé l’architecture, ceci ne tuera pas cela (Notre-Dame de Paris , chapitre ajouté en 1832)!Finement gravée sur bois de bout, la vignette imite le croquis à la plume, et son «griffonnis» flotte sur l’espace de la page imprimée où elle prend place à l’intérieur de la justification. D’abord réservée à cette «entrée» du livre qu’est la couverture ou la page de titre, elle s’immisce par la suite dans le cours du texte dont elle devient l’incessant contrepoint.La vignette-frontispiceL’étape de la vignette-frontispice, dont Asselineau et Champfleury furent les premiers historiens, s’annonce chez Achille Devéria, Henri Monnier, Louis Boulanger et Tony Johannot à la fin des années 1820 et s’impose entre 1830 et 1835, avec un sommet en 1832 et 1833. Elle est l’apanage presque exclusif de Tony Johannot, inséparable du graveur Henri-Désiré Porret. Le public, au dire des contemporains, s’arrache ces vignettes: «nous voulons des vignettes, le libraire veut des vignettes, le public veut des vignettes» (Edouard Thierry, préface de Sous les rideaux , 1832). Celles-ci deviennent une nécessité pour lancer les nouveautés littéraires de Gustave Drouineau, du vicomte d’Arlincourt, de Régnier-Destourbet, d’Eugène Sue, de Jules Janin ou d’Alphonse Karr, mais aussi de Vigny, Balzac ou Victor Hugo: drames, poésies romantiques et, plus que tout, romans, qu’elles font lire dans les cabinets de lecture. Semblables à l’enseigne, elles se rendent inséparables du titre du livre qu’elles représentent: «ces vignettes, pour lesquelles on choisissait toujours la scène la plus horrible du drame ou du roman, sont comme les armes parlantes du romantisme» (Adolphe Jullien, Le Romantisme et l’éditeur Renduel , 1897); dans L’Artiste , comptes rendus et annonces reproduisent les vignettes et les commentent, à tel point que l’image, à l’instar du titre, connaît une diffusion plus large que le livre lui-même!Ces articles témoignent de la manière dont les contemporains reçoivent les vignettes, comme une énigme entretenant un suspense dont il sera de bon ton dans les salons de détenir la clé. Loin de prétendre résumer le livre entier, la vignette montre la scène à sensation, non sans un goût pour les effets de mélodrame: le Grand Guignol et le paroxysme; la mélancolie et le sentimentalisme; le tableau vivant. Mais les stéréotypes qui s’adressent au public large des «nouveaux lecteurs» sont parfois empreints d’ironie et peuvent être appréciés au second degré; la technique de la gravure se prête à un schéma de composition en deux zones séparées par une diagonale, le blanc et le noir, le bien et le mal – rappel sommaire de l’antithèse préconisée par le Préface de Cromwell (1827). Pleinement romantique par la synthèse des modes d’expression qu’elle suppose, la vignette réunit le paroxysme et l’ironie: comme l’écrit Asselineau, «on exagérait la cocarde, et l’on chargeait la couleur du drapeau et, plus le titre était surprenant, plus la vignette était farouche [...] plus on était sûr de ne pas être confondu avec l’ennemi». À la présence croissante de l’éditeur, Renduel, Ladvocat, Gosselin, Urbain Canel, répond l’avènement de la réclame, qui fait appel à des effets visuels, dont la vignette n’est que le plus important: sur la couverture imprimée du livre broché, cette invention récente de la librairie, les fonds colorés et les caractères de fantaisie attirent le regard et appâtent le lecteur, comme savaient déjà le faire les affiches des théâtres parisiens, qui ont chacun leur couleur propre depuis l’Empire.L’une des meilleures vignettes fut dessinée par Johannot pour la couverture illustrée de Notre-Dame de Paris : la grimace de Quasimodo dans l’oculus renvoie à la scène du concours des grimaces qui présente au vu de tous la physionomie grotesque du héros, et cette grimace, inimaginable d’après le texte, le fait proclamer roi des fous: la caricature et la laideur, essentielles au programme hugolien, composent l’emblème provocant qui reste l’exemple par excellence de cette image de rêve flottante et déchiquetée sur ses bords qu’est la vignette.Des livraisons aux livres d’étrennesLa seconde forme du livre illustré romantique, à vignettes multiples, apparaît progressivement: d’abord, l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux de Charles Nodier publié chez Delangle en 1830, ce livre précurseur, bourré d’allusions et d’ironie, à la façon de Sterne, est illustré de 50 vignettes par Tony Johannot; puis Deburau, Histoire du théâtre à quatre sous de Jules Janin en 1832, dont l’édition originale in-8o fut tirée par Gosselin à 25 exemplaires: les huit vignettes de Chenavard, Bouquet et Johannot y distinguent, parmi les espaces d’illustration, le frontispice, la lettrine ou la simple vignette dans le texte. Enfin, c’est le Gil Blas illustré par Gigoux (Paulin, 1835) qui consacre l’omniprésence de la vignette, dans une collection de «classiques illustrés» où prend place le Molière de Johannot l’année suivante. Désormais, quelques éditeurs «de pittoresques», Paulin, Curmer, Hetzel, Perrotin, Fournier, se spécialisent dans la fabrication de ces livres «de luxe à bon marché», vendus par livraisons, des mois durant, pour s’achever au moment des étrennes. La vente par livraisons illustrées hebdomadaires ou bi-hebdomadaires a plusieurs avantages: fidéliser l’acheteur d’un livre morcelé comme un feuilleton, encourager le lecteur de cabinet de lecture à devenir un acquéreur, en lui permettant d’échelonner son achat, et enfin offrir au public un produit tout à fait neuf qui se distingue de la contrefaçon belge si menaçante pour la librairie française. L’éditeur fait alors appel à toutes les ressources de la réclame, du puff , à laquelle la vignette est associée: prospectus, catalogues illustrés, affiches à vignettes et affiches lithographiées, d’abord en noir puis en couleurs avec Rouchon, se trouvent diffusés dans les librairies, tandis que L’Illustration publie des annonces de librairie illustrées sur des pages entières et que d’autres journaux les insèrent en dernière page à côté d’autres publicités. Les affiches, «poème pour les yeux» d’après Balzac, sont illustrées, mais le texte s’y fait image, par des jeux typographiques qu’avait expérimentés Nodier dans Le Roi de Bohême , et qui annoncent la poésie concrète. Presque immanquablement, l’image qu’offrent ces nouveaux supports, comme les plats dorés de la reliure, reproduit l’emblème du titre que sont le frontispice et la vignette de titre.Chaque livraison comporte quelques vignettes dans le texte et une planche hors-texte, qui peut être gravée sur bois ou sur acier: l’image ponctue le déroulement du texte dont elle scande les temps forts en illustrant les principaux épisodes. La vignette soutient l’attention du lecteur, réveille son intérêt, montre le personnage qui parle, les jeux de scène; avec la rapidité du coup d’œil, elle saisit un geste furtif, capte au vol un détail qui meuble la vision imaginaire du «spectateur dans un fauteuil». Tel un signet, le hors-texte marque dans le livre le passage d’anthologie, le morceau choisi. Ou bien il se détache du déroulement du texte, auquel il fait contrepoint, cultivant un effet de «macédoine» ou de pot-pourri propre au keepsake , ce livre-bibelot donné en cadeau d’étrennes à la «femme du monde».L’image d’illustration et ses genres: types, sites et scènesUne hiérarchie des espaces dévolus à l’illustration s’instaure, en corrélation avec la hiérarchie des genres illustratifs, elle-même transposée de celle des genres picturaux: par exemple, dans l’encyclopédie morale que sont Les Français peints par eux-mêmes , où chaque livraison est consacrée à un type social ou professionnel, l’éditeur Curmer met au point une solution stable de mise en pages; le «hors-texte» est dévolu au «type», le bandeau (dit «tête de page») à la «scène», la «lettre» à la nature morte. En effet, les genres illustratifs sont alors connus de tous: le «type», qui correspond au «portrait de genre» de l’histoire de l’art, offre un portrait en pied de personnage en costume régional ou national, de héros de roman, de type social, de personnage historique. Le «site» est une vue pittoresque d’un paysage, d’un monument, d’une ville. La «scène», qui renvoie soit à la peinture d’histoire, soit à la peinture de genre, et particulièrement au genre anecdotique qu’avait cultivé la peinture Troubadour, représente un groupe de personnages réunis par une action.Chacune de ces grandes catégories correspond à l’un des domaines majeurs de l’illustration romantique, mais s’est perpétuée presque jusqu’à nos jours dans la conception des illustrations de la presse et du livre, voire des images tout court, par exemple dans la carte postale ou l’art de l’affiche: en 1889, l’affiche de librairie de Chéret pour La Terre présente sur les colonnes Morris le type monumental du père Fouan, comme le petit livre de colportage publié chez Pellerin à Épinal vers 1875 comporte sur son plat inférieur un type.Ces différents domaines sont la littérature «physiologique», avec Les Français peints par eux-mêmes (1841-1842), Le Diable à Paris (1845-1846), Les Scènes de la vie privée et publique des animaux (1841-1842) pour le type; le voyage pittoresque (illustré de lithographies) pour le site; l’œuvre littéraire, surtout le roman, pour la scène. Les artistes se spécialisent parfois dans une catégorie d’images, par exemple Bertall ou Gavarni dans le type, Français ou Daubigny dans le site... Certains d’entre eux façonnent eux-mêmes des types, comme le Robert Macaire de Daumier, le Joseph Prudhomme de Monnier, le Thomas Vireloque de Gavarni, passé maître aussi dans l’évocation de la lorette et du «débardeur» (la lorette en pantalons des bals masqués), et ces types se prennent à jouer un rôle dans des scènes: les catégories qui semblaient si distinctes ne cessent de se combiner et de se chevaucher, d’autant plus que l’espace de la vignette, gravée sur bois ou lithographiée, se prête à de telles superpositions.La mémoire des imagesL’éclectisme qui caractérise l’art à partir du second Empire se retrouve aussi dans l’illustration. Dans les livres illustrés de grande circulation, comme dans l’affiche pour l’édition populaire, s’entrecroisent des formes d’image héritées de la tradition romantique et d’autres issues des traditions populaires: la vignette du livret de colportage d’Épinal est tout à la fois un «type» et une variante iconographique du juif errant. De même, la haute affiche de Chéret pour La Terre de Zola semble un fragment découpé dans l’extrémité droite d’une image populaire du «degré des âges»; la courbe déclinante des lettres y rappelle la dernière marche de l’escalier de la vie, qui correspond à l’âge de vieillesse personnifié par le père Fouan. À l’arrière-plan, la charrue est l’emblème, ou l’enseigne, de la vie agricole. Simple et forte, cette affiche apporte néanmoins une lecture du roman, centrée sur la décadence des petites exploitations traditionnelles plutôt que sur l’avènement de la culture industrielle qu’évoque aussi Zola. L’illustration populaire donne ici un exemple du fonctionnement «intericonique», puis «intertextuel» de tout l’art de l’illustration, que favorise le système du réemploi: par un jeu de variations, chaque image renvoie à d’autres images ou à des formules iconographiques, qui portent en elles des pans de texte. Cette mémoire des images se retrouve dans d’autres secteurs du livre illustré, tel celui de la littérature enfantine: ainsi, tout frontispice de conte y est une variante sur le frontispice (parfois attribué à un dessin de Perrault lui-même) de l’édition originale des Histoires ou Contes du temps passé en 1697; Doré lui-même n’y manque pas, dans une planche où il combine le thème de la vieille conteuse, remaniée pour devenir l’aïeule entourée par sa descendance, avec un motif original: dans le tableau accroché au mur du fond, il représente la scène archétype du Petit Poucet retirant les bottes de l’ogre, qui lui permet d’introduire dans ce frontispice l’illustration-tableau, ou encore la peinture à sujet littéraire, transposée pour le nouvel espace de la «nursery».La multiplication des images et le réemploiDans la seconde moitié du siècle, l’illustration prolifère. Son essor est d’abord lié à celui de la presse: les journaux illustrés emploient des équipes de dessinateurs et de graveurs attelés à la tâche jour et nuit; la «petite presse» (journaux de mode, de voyage, journaux satiriques) se développe. Si, dans le livre illustré, les images se multiplient aussi, c’est, d’une part, en raison de l’influence du journal illustré, puisque le métier d’illustrateur se prête indifféremment à l’un ou l’autre support, et que les mêmes hommes travaillent pour un journal comme Le Tour du monde ou pour l’illustration des Voyages extraordinaires de Jules Verne. Mais, aussi, c’est par l’effet d’un mécanisme interne à son histoire, celui du «réemploi», qui diminue grandement les coûts du livre illustré pour l’éditeur: en effet, l’investissement que représente la gravure d’un dessin est amorti par la première édition, où les planches figurent en premier tirage. Par la suite ne subsistent plus que les coûts de tirage et d’impression, et les gravures sont tirées à nouveau soit pour des rééditions, soit pour de nouveaux titres. Au gré de l’éditeur, elles demeurent alors des illustrations spécifiques au texte qui en est la souche, ou deviennent des images détachées qui naviguent d’un texte à l’autre. Les faillites d’éditeurs ou d’imprimeurs ont suscité des cessions de bois gravés à de nouveaux éditeurs qui exploitaient à leur gré les fonds acquis; ainsi, la faillite de Delangle a permis le réemploi des bois du Roi de Bohême dans L’Artiste , dès 1832.Le recours au «cliché», dont l’emploi se généralise dans les années 1830, puis, dans les années 1860, au «gillotage», première tentative de procédé photomécanique appliqué à l’illustration, favorise aussi le réemploi, car, conçu pour prolonger la durée de vie du bois gravé, qui sert de matrice à un moulage de métal, le cliché transforme le bois lui-même en un multiple; grâce à ce procédé, les ateliers de graveurs fournissent des catalogues de vignettes à prix marqués, analogues aux catalogues des fondeurs de caractères. Ce n’est plus alors le dessinateur qui illustre un texte donné, mais l’éditeur qui se charge de combiner le texte et l’image à sa guise et qui détient l’initiative de la maquette. Aubert fut un pionnier très avisé de ces pratiques du réemploi dès les années 1840.3. Les grands domaines de l’édition illustréeAlors que l’époque romantique a forgé le langage de l’illustration, qui pouvait se prêter à toute la gamme de l’édition illustrée, mise à la mode par les éditeurs de pittoresques, la seconde moitié du siècle voit l’illustration se spécialiser sur ses terrains de prédilection, la presse, le livre populaire, le livre pour enfants.La presse illustréeSi, dans le livre, les genres illustratifs qui se sont dégagés dans les années 1840 se confirment, le journal suscite le croquis de presse et l’histoire en images. Vignette satirique légendée en une ligne, dans laquelle se spécialisent Cham, Nadar ou Hadol, le croquis de presse décoche d’un trait sa flèche et fait sourire le lecteur; il réussit au mieux lorsqu’il est présenté en série pour la «revue» figurée de la semaine ou du mois. Dans cette mise en pages, où le dessin de presse apparaît en bandes qu’il faut lire de gauche à droite, il se rapproche de l’histoire en images, l’autre formule à succès de l’illustration de presse: celle-ci, inventée dans les années 1820 par le maître de pensionnat genevois Töpffer, a été popularisée en France dès la fondation de L’Illustration par l’entremise de l’un des directeurs du journal, son cousin Dubochet; ce dernier faisait redessiner par Cham, en vue de la gravure sur bois, les croquis à la plume et à l’encre de Chine autographiés de Töpffer. L’éditeur Aubert lance bientôt sa collection d’albums Jabot, où les héros de Töpffer côtoient ceux du collégien Doré dont les premières œuvres sont des histoires en images. Et le genre fera fortune dans la presse illustrée de la seconde moitié du siècle, avec Willette pour Le Chat noir , par exemple, ou Christophe dans Le Petit Français illustré .L’illustration populaireL’édition illustrée populaire dite «à quatre sous», apparue en janvier 1848 chez l’éditeur Havard, connaît son apogée de 1851 à 1855, avant de disparaître dans les années 1860 à la fin de l’Empire autoritaire; elle va exploiter ces nouvelles habitudes éditoriales associées à la pratique du réemploi; en effet, au moment où le gouvernement renforce le contrôle du colportage (janvier 1852), où l’extension du réseau des chemins de fer suscite de nouveaux modes de lecture populaire, ont lieu de nombreuses cessions de fonds de gravures ou de nouvelles associations d’éditeurs. Elles sont dues à la crise de 1846 qui avait mis les éditeurs de pittoresques en difficulté, puis à l’exil politique qui frappe au sein de la profession les républicains comme Hetzel après le coup d’État du 2 décembre 1851. La plupart des nombreuses collections répertoriées par Claude Witkowski comportent des illustrations de réemploi, bien que certaines fassent appel à des illustrateurs de métier, comme Worms, Foulquier ou Beaucé; la collection des Chefs-d’œuvre de l’illustration reprend les grands illustrés romantiques.Ces éditions populaires, elles aussi publiées par livraisons, «à quatre sous», se rapprochent encore de la presse qui avait déjà suscité l’éclosion des livraisons romantiques à 50 centimes: la page y est subdivisée en colonnes, espace visuel familier au lecteur de journaux, comme l’est aussi le rectangle oblong dévolu au bloc typographique, au bas de la double page centrale illustrée de chaque livraison; cet emplacement au «rez-de-chaussée» de la page évoque irrésistiblement le feuilleton de presse – tout le reste de la surface, les deux tiers de la page, étant dévolu aux deux grandes vignettes qui ornent la double page. Enfin, la «une» de chaque livraison, avec son bandeau d’en-tête toujours identique, ressemble à celle du journal. Seul le format change, car l’édition populaire préfère l’in-quarto à l’in-folio de la presse.Dans cette mise en pages régulière, la présence de l’image rythme la lecture à des emplacements attendus, qui ne correspondent pas au point d’insertion du passage illustré, comme dans l’illustration romantique juxtalinéaire. La légende sert de renvoi, en spécifiant souvent à quelle page il faut aller lire le passage d’ancrage; les effets d’anticipation ou de retard sont donc dictés par la mise en pages. La double page permet aux vignettes de décomposer d’une manière précinématographique un mouvement de scène, ou le déroulement d’un épisode. Foulquier évoque ainsi en deux vignettes le passage brusque de l’entente à la dispute amoureuse dans Marion Delorme . Mais il arrive aussi que l’image, annonçant la livraison suivante, use d’un effet de «suspense» inhérent au feuilleton et analogue à la formule «à suivre au prochain numéro». La coupure du feuilleton avait été figurée par Grandville en 1846 au moyen d’une vignette horrifique, prémonitoire de ce type d’images; c’est une tête coupée que brandit aux yeux du lecteur une main surgie on ne sait d’où... – l’un des multiples avatars de la célèbre vignette à la grimace de Quasimodo par Johannot (chapitre «Paturot feuilletoniste» du Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale par Louis Reybaud).La formule du roman-journal, qui associe dans chaque livraison deux ou trois romans-feuilletons, apparaît en 1855 et se perpétue sous la IIIe République, avec, par exemple les Veillées des chaumières . À une présentation identique à celle des éditions à quatre sous s’ajoute l’image de la première page, qui ressemble à celle de la presse des faits divers, et qui est conçue pour séduire le public populaire; elle renoue autant avec «l’accroche» paroxystique ou sentimentale de la vignette-frontispice qu’avec les scènes violentes gravées sur bois des «canards populaires» qui, vendus à la criée, perpétuent au XIXe siècle la tradition des «occasionnels» représentant l’une des premières formes de la presse. Il en sera de même pour les couvertures illustrées des romans populaires, à la typographie dense et dénuée d’illustrations intérieures, qui alimentent les lectures populaires de la belle Époque. Comme les feuilletons, qui ne sont pas illustrés non plus, ces romans sont lancés par de grandes affiches murales en couleurs, dues aux ateliers Chéret ou Lévy.L’illustration pour l’enfant«What is the use of a book without pictures?», demande Alice qui s’endort sur un livre de texte avant d’entrer dans le plus extraordinaire des livres illustrés pour enfants... Comme le constate Alice, l’image est consubstantielle au livre pour enfants. L’Orbis sensualium Pictus (1658) du Tchèque Comenius, méthode d’apprentissage plurilingue de la lecture, prototype de l’abécédaire à figures, est considéré comme le premier livre d’images pour enfants: même s’il fut devancé par d’autres ouvrages, aucun n’a joué ce rôle fondateur et n’a inspiré autant de rééditions ou de variantes dans le monde occidental jusqu’au XIXe siècle.Le goût des enfants pour les images, l’importance du monde des sens dans l’éveil d’une jeune intelligence ont été reconnus par les pédagogues, alors que les livres de l’enfance n’étaient encore que des manuels, ou des titres adoptés dans le fonds de la littérature générale, mais bien souvent illustrés (romans de chevalerie passés en Bibliothèque bleue, contes de Perrault, fables d’Ésope ou de La Fontaine). Comme dans la tradition populaire des vendeurs de complaintes et des colporteurs de brochures, qui déroulent une grande toile peinte pour servir de fond à leur boniment, l’image a été recommandée, dans la tradition savante de la pédagogie préceptorale, par les tenants de l’instruction amusante, de Fénelon à Rollin, de Locke à Mme de Genlis. C’est ainsi que Fénelon avait écrit dans L’Éducation des filles que les enfants peuvent «apprendre à lire en se jouant» et qu’«il faut leur donner un livre bien relié, doré même sur la tranche, avec de belles images et des caractères bien formés».Fénelon fut aussi l’auteur du premier roman pour enfants, le Télémaque (1699) écrit pour le Dauphin, livre qui lui attira la disgrâce de Louis XIV, mais qui fut ensuite édité avec de belles planches dans la collection des classiques «ad usum Delphini» (édition Didot de 1785, par exemple). Malgré ce livre précurseur, l’émergence de la littérature enfantine, de livres écrits spécialement pour «instruire (les enfants) en (les) amusant», est plus tardive, inséparable du nouvel intérêt pour l’enfance que manifeste la philosophie des Lumières, et que formule au mieux l’Émile de Jean-Jacques Rousseau (1762). Quelques «auteurs pionniers», Mme Leprince de Beaumont (Magasin des enfants , 1758), Mme d’Épinay (Les Conversations d’Émilie , 1774), Mme de Genlis (Théâtre à l’usage des jeunes personnes , 1779, et Les Veillées du château , 1784), Berquin (L’Ami des enfans , 1782-1783) cherchent à combler le manque que Rousseau a constaté dans le domaine de la littérature enfantine où il ne retient qu’un roman à adapter, le Robinson de Daniel Defoe. Si la France a des auteurs pour enfants dès les années 1760, c’est en Angleterre que sont apparus les premiers éditeurs spécialisés qui, à la suite de Newbery, inventent dès les années 1740 un objet-livre pour l’enfant, au format miniature et aux nombreuses illustrations. Ce n’est que dans les années 1810, et sous la Restauration, que s’amorce le mouvement des libraires d’éducation (Eymery, Blanchard) qui font appel à des dessinateurs et à des graveurs souvent anonymes pour illustrer des textes dérivés de la littérature des auteurs pionniers.À partir de 1830, et plus encore de 1835, lorsque, d’une part, l’interdiction de la caricature politique contraint illustrateurs et éditeurs à se reconvertir, et que, d’autre part, la loi Guizot de 1833 sur l’enseignement primaire impose à la littérature enfantine de se démarquer du manuel, notamment par le recours à l’image, le marché du livre illustré pour enfants, complété par celui de la presse enfantine, s’intensifie. Par la collection, fondée en 1843, du Nouveau Magasin des enfants, l’éditeur Hetzel réagit contre la médiocrité d’ouvrages de prix ou d’étrennes, livres-bibelots, jolis cartonnages polychromes, qui, pour le contenu, restent des sous-produits; certains titres de cette collection, comme Tom Pouce de Stahl (pseudonyme de Hetzel) illustré par Bertall, ou Gribouille , de George Sand, illustré par son fils Maurice Sand, sont toujours disponibles avec leurs illustrations d’origine pour les enfants d’aujourd’hui!Âge d’or du livre illustré pour enfants, la seconde moitié du XIXe siècle est dominée par quelques grandes maisons d’édition parisiennes (Hetzel, Hachette, Delagrave) qui éclipsent la production provinciale (Mame à Tours, Barbou, Ardant à Limoges, Lefort à Lille). Plus encore qu’Hachette avec Le Journal de la jeunesse ou Delagrave avec le Saint Nicolas , tout le fonds de la librairie Hetzel a pour plaque tournante un journal, le Magasin d’éducation et de récréation , fondé en 1864, qui, dirigé par Hetzel avec Jean Macé, futur fondateur de la Ligue française de l’enseignement, met en application les principes d’Ernest Legouvé sur la lecture en famille. Tous les âges de l’enfance y trouvent pâture: ainsi, en 1864, les tout-petits lisent des textes de Stahl, Petites Sœurs et petites mamans illustré par le Danois Froelich ou les Petites Tragédies enfantines illustrées par Froment. Tous deux adoptent le champ de vision de leurs petits modèles pour concevoir une image à hauteur d’enfant; les adolescents découvrent Jules Verne avec Les Anglais au pôle Nord , illustré, entre autres, par Alphonse de Neuville, comme une féerie naturelle offerte par les phénomènes météorologiques. Des Albums Stahl aux Voyages extraordinaires de Jules Verne, l’abondance et la conception des illustrations se modulent sur l’âge de l’enfant destinataire; pour les Jules Verne, illustrés par Bayard, Riou, Férat, Neuville, comme pour les ouvrages de la comtesse de Ségur illustrés par Castelli ou Bertall, dans la Bibliothèque rose illustrée de Hachette, la griffe de la collection importe plus que la personnalité propre de l’illustrateur. Ce trait persiste en France jusqu’à l’apparition tardive de dessinateurs spécialisés, dont les albums sont finement chromotypographiés, comme Boutet de Monvel, Job ou Benjamin Rabier, alors que l’Angleterre et l’Allemagne ont connu plus tôt cette catégorie d’artistes parfois eux-mêmes auteurs (Lear, Hoffmann, Cruikshank, Tenniel, Caldecott, Crane, Greenaway, Busch).Sous le second Empire, les centres d’imagerie de l’est de la France (Metz, Pont-à-Mousson ou Épinal) se reconvertissent. Délaissant l’imagerie populaire, soumise au même contrôle que l’édition de colportage, ils se tournent vers l’imagerie enfantine et publient, à l’imitation des toy books de l’éditeur Evans à Londres, de petits albums en lithographie coloriée, tandis que des éditeurs-imagiers parisiens se mettent à la chromolithographie vers 1865; ces petits albums, tels les Albums Trim , dans une veine satirique, chez Hachette, sont vendus dans les gares et soumis au cachet de colportage.Enfin, l’histoire en images, fondée par Töpffer, est pratiquée par Doré, puis par Cham, Busch, Rabier, et surtout Christophe: le récit y est segmenté en une succession de courtes phrases associées à des images qu’il faut «lire» de gauche à droite et de haut en bas suivant le sens de la lecture alphabétique qui s’impose aussi dans l’imagerie populaire à compartiments. L’histoire en images annonce la bande dessinée, puisqu’il n’y manque que la «bulle», transcription interne à l’image du discours des personnages, qui surgit aux États-Unis au tournant du XXe siècle.Dans la première moitié du XIXe siècle sont mises au point des procédures qui font de l’illustration un langage spécifique, avec le nouveau champ iconique de la vignette, les genres que sont le type, le site ou la scène, liés à des espaces spécifiques de mise en pages et à des techniques graphiques. Le livre illustré s’avère solidaire des imprimés du lancement, comme l’affiche de librairie ou le prospectus, et des «journaux à images», du Magasin pittoresque (1833) à L’Illustration (1843), sans oublier L’Artiste (1831), La Caricature (1830) et Le Charivari (1832), le Journal des enfants (1833). L’idéal romantique de la fraternité des arts fait de l’artiste illustrateur, par lequel s’entendent le texte et l’image ou comme l’on dit alors «la plume» et «le crayon», une figure exemplaire. Ainsi, en 1843, le cul-de-lampe final du Voyage où il vous plaira représente cette rencontre entre l’écrivain et l’artiste de manière emblématique, un crayon (emmanché d’une plume) posé sur une plume d’oie; l’illustrateur a le dessus, comme le reconnaît l’auteur, Stahl-Hetzel, dans l’épilogue adressé «au lecteur et à Tony Johannot». «... Nous ne regretterons jamais, mon cher Tony, d’avoir fait avec vous ce chemin, sur lequel vous avez semé, si à propos pour l’abréger, toutes ces charmantes vignettes auxquelles nous avons dû, sans aucun doute, d’avoir jusqu’au bout votre aimable compagnie, – cher lecteur.» Dans la seconde moitié du siècle, une meilleure analyse des publics affine davantage les formules éditoriales: l’exemple de l’illustration enfantine, avec l’album, l’imagerie d’Épinal, le livre de prix et le livre d’étrennes, le prouve aussi bien que celui de l’illustration populaire ou de l’illustration de presse. La banalisation des images d’illustration suscite alors une réaction du public lettré qui en revient au texte seul, et refuse ce procédé «populaire» – que prolongent aujourd’hui la bande dessinée ou le cinéma (dans la bande dessinée de Gotlib et Alexis, Cinemastock II [Dargaud, 1976], la couverture illustrée pour Notre-Dame de Paris semble une lointaine réplique à la vignette à la grimace de l’édition originale). L’illustrateur, cantonné dans un métier tributaire de la littérature et de l’industrie, est méprisé par l’artiste, qui n’admet que la création parallèle du livre de peintre; ce nouvel art du livre, aux origines duquel se trouve le Faust de Goethe illustré par Delacroix en 1828, est annoncé par le recueil Sonnets et eaux-fortes (1869) réuni par Burty chez l’éditeur parnassien Lemerre, et fondé par Le Corbeau de Poe doublement «traduit» par Manet et par Mallarmé (Lesclide, 1875). Au même moment, l’illustrateur est menacé par les caricaturistes de presse et les photographes, qui empiètent sur son terrain quotidien et s’imposent tout à fait par la mise au point de la photogravure dans les années 1880. Le métier ne survivra que dans des territoires très spécialisés, comme celui du livre pour enfants, dont l’image est une composante nécessaire.
Encyclopédie Universelle. 2012.